
A l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide arménien de 1915, une prière œcuménique a au lieu ce mardi 28 avril, à 20h, à la Cathédrale des Saints Michel et Gudule. L’occasion pour Mgr Jean Kockerols de rappeler les récentes paroles du pape François et d’insister sur le devoir de mémoire, en égratignant sans les citer certains acteurs politiques.
A l’appel de l’Eglise apostolique arménienne et avec la participation des Eglises chrétiennes de Belgique, une prière œcuménique de commémoration du 100e anniversaire du génocide des Arméniens a été organisée à la cathédrale de Bruxelles.
Dans son homélie, Mgr Jean Kockerols, évêque auxiliaire pour Bruxelles, a tenu d’abord à rappeler les paroles du pape François face à cette tragédie : « Notre humanité a vécu, le siècle dernier, de grandes tragédies inouïes, la première étant celle qui est généralement considérée comme « le premier génocide du XXème siècle », selon l’expression déjà utilisée par LL.SS. le pape Jean-Paul II et le Catholicos Karekin II (2001). Elle a frappé le peuple arménien – la première nation chrétienne –, avec d’autres : Syriens catholiques et orthodoxes, Assyriens, Chaldéens, Grecs. Des évêques, des prêtres, des religieux, des femmes, des hommes, des personnes âgées et même des enfants et des malades sans défense ont été tués. Chers frères arméniens, aujourd’hui encore nous rappelons, le centenaire de ce tragique événement, de cette effroyable et folle extermination, que vos ancêtres ont cruellement soufferte. » Et le pape ajoute : « Se souvenir d’eux est nécessaire, plus encore c’est un devoir, parce que là où il n’y a plus de mémoire, cela signifie que le mal tient encore la blessure ouverte ; cacher ou nier le mal c’est comme laisser une blessure continuer à saigner sans la panser ! ».
Une phrase qui n’est pas passée inaperçue
L’évêque a surtout rappelé que le devoir de mémoire est indispensable et qu’il incombe à tous, « quelles que soient nos convictions ou encore notre appréciation des événements de l’Histoire ». Et Mgr Kockerols d’égratigner certains acteurs politiques bruxellois, sans les nommer : « Certains dans cette ville ne s’en montrent hélas pas capables ». Une phrase qui n’est pas passée inaperçue et qui faisait référence à la triste saga de la minute de silence qui aurait dû être organisée au Parlement régional bruxellois, en mémoire des victimes du génocide ; laquelle s’est transformée en minute de silence « pour toutes les victimes de la violence », histoire de ne pas froisser certains élus d’origine turque. On sait que la Turquie refuse de reconnaître ce massacre comme un génocide.
Mgr Kockerols a poursuivi en rappelant que dans le cadre d’une liturgie, « nous exprimons une conviction fondamentale : celle que le mal ne vient jamais de Dieu infiniment Bon ». Pour l’évêque bruxellois, le devoir de mémoire est aussi une profession de foi en Christ ressuscité, une réponse à l’invitation du Seigneur à prier.
« Nous prions pour nos défunts, pour ceux qui ont quitté ce monde », a souligné Mgr Kockerols, « mais aussi avec eux : ils sont nos intercesseurs ». Et d’estimer que c’est d’autant plus vrai que l’Eglise apostolique arménienne vient de canoniser toutes les victimes de cette tragédie. « Nous prions pour nos défunts, avec eux, mais aussi grâce à eux. Car nous venons aussi ici pour rendre grâce. Telle est la mystérieuse fécondité du martyr, de leur témoignage : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Il ne nous revient pas de quantifier ou de qualifier la fécondité de leur martyr : cela revient à Dieu seul. Mais nous affirmons ici qu’ils ont inscrits leur vie dans la Passion du Christ et que le Père rend fécond ce qui aux yeux des hommes n’est qu’absurde et sans issue ».
L’évêque auxiliaire de Bruxelles encore précisé: « Enfin nous élargissons notre prière à toute l’humanité, marquée par le péché, capable de tant de violence, habitée par tant de forces de mort. Il y a un siècle, mais aujourd’hui encore, sur tant de continents. Nous prions pour la conversion des cœurs, à commencer par le nôtre. Nous prions pour la manifestation de la miséricorde de Dieu, de la miséricorde au nom de Dieu, en nous rappelant que la miséricorde ne peut faire l’économie de la nécessaire justice. La charité ne se déploie que dans la vérité. Le chemin de la vérité est encore long, mais il est nécessaire comme le rappelait le pape François ».
Et de conclure : « En communion avec nos frères et sœurs d’Arménie, nous faisons mémoire, nous professons notre foi, nous prions. Pour nos défunts, avec eux, grâce à eux. Pour l’humanité qui a autant soif de vérité que de miséricorde ».
Jean-Jacques Durré sur infocatho.be
Texte intégral de l’homélie de Mgr Kockerols
« Frères et Sœurs, chers amis,
Que venons-nous faire ici ce soir ? Pourquoi ce rassemblement ? Permettez-moi au seuil de cette brève homélie de reprendre d’abord les termes récemment employés récemment en la Basilique S. Pierre de Rome par le pape François.« Notre humanité a vécu, le siècle dernier, de grandes tragédies inouïes, la première étant celle qui est généralement considérée comme « le premier génocide du XX siècle », selon l’expression déjà utilisée par LL.SS. le pape Jean-Paul II et le Catholicos Karekin II (2001).Elle a frappé le peuple arménien – la première nation chrétienne –, avec d’autres : Syriens catholiques et orthodoxes, Assyriens, Chaldéens, Grecs. Des évêques, des prêtres, des religieux, des femmes, des hommes, des personnes âgées et même des enfants et des malades sans défense ont été tués.
Chers frères arméniens, aujourd’hui encore nous rappelons, le centenaire de ce tragique événement, de cette effroyable et folle extermination, que vos ancêtres ont cruellement soufferte. » Et le pape ajoute : « Se souvenir d’eux est nécessaire, plus encore c’est un devoir, parce que là où il n’y a plus de mémoire, cela signifie que le mal tient encore la blessure ouverte ; cacher ou nier le mal c’est comme laisser une blessure continuer à saigner sans la panser ! »
Devoir de mémoire donc. Indispensable devoir qui incombe à tous, quelles que soient nos convictions ou encore notre appréciation des événements de l’Histoire. Certains dans cette ville ne s’en montrent hélas pas capables. Devoir de mémoire, mais aussi pour nous profession de foi. Dans ce lieu de culte, dans le cadre d’une liturgie, nous exprimons une conviction fondamentale. Celle que « le mal ne vient jamais de Dieu infiniment Bon », comme l’a dit le pape François dans la même allocution. Nous affirmons que « la cruauté ne peut jamais être attribuée à l’œuvre de Dieu, et en outre ne doit absolument pas trouver en son Saint Nom une quelconque justification ». Dans la prière, nous fixons donc notre regard sur Jésus-Christ, le Ressuscité, le vainqueur de la mort et du mal.
Devoir de mémoire, profession de foi en Christ ressuscité mais aussi réponse à l’invitation du Seigneur à prier. Nous prions pour nos défunts, pour ceux qui ont quitté ce monde et dont le Père « connaît la droiture et la foi ». Comme l’évoque le canon romain, l’anaphore utilisée pendant des siècles de façon presque exclusive dans l’Eglise latine, nous implorons Dieu de se souvenir de ses « serviteurs qui nous ont précédés, marqués du signe de la foi et qui dorment dans la paix. Pour eux et pour tous ceux qui reposent dans le Christ », nous implorons sa bonté : « qu’ils entrent dans la joie, la paix et la lumière ».
Nous prions pour nos défunts mais aussi avec eux : ils sont nos intercesseurs. Cela est d’autant plus vrai que l’Eglise apostolique arménienne vient de canoniser toutes les victimes de cette tragédie. Les saints et les bienheureux sont les intercesseurs qui nous sont donnés, à la suite la Vierge Marie, la Très Sainte Mère de Dieu, et de Saint Grégoire l’Illuminateur, Hiéromartyr de l’Eglise arménienne. Heureux sommes-nous de pouvoir compter sur eux. Ils sont, selon la proclamation des Béatitudes, « dans la joie et l’allégresse, leur récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 12).
Nous prions pour nos défunts, avec eux, mais aussi grâce à eux. Car nous venons aussi ici pour rendre grâce. Telle est la mystérieuse fécondité du martyr, de leur témoignage : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Il ne nous revient pas de quantifier ou de qualifier la fécondité de leur martyr : cela revient à Dieu seul. Mais nous affirmons ici qu’ils ont inscrits leur vie dans la Passion du Christ et que le Père rend fécond ce qui aux yeux des hommes n’est qu’absurde et sans issue. « Heureux, dès à présent, dit l’Apocalypse, les morts qui meurent dans le Seigneur. Oui, qu’ils se reposent de leurs peines, car leurs actes les suivent » (Ap 14, 13).
Enfin nous élargissons notre prière à toute l’humanité, marquée par le péché, capable de tant de violence, habitée par tant de forces de mort. Il y a un siècle, mais aujourd’hui encore, sur tant de continents. Nous prions pour la conversion des cœurs, à commencer par le nôtre. Nous prions pour la manifestation de la miséricorde de Dieu, de la miséricorde au nom de Dieu, en nous rappelant que la miséricorde ne peut faire l’économie de la nécessaire justice. La charité ne se déploie que dans la vérité. Le chemin de la vérité est encore long, mais il est nécessaire comme le rappelait le pape François.
Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice, chante le psalmiste (cf Ps 84, 10-12).
Voilà donc toutes ces bonnes raisons qui nous rassemblent ici. En communion avec nos frères et sœurs d’Arménie, nous faisons mémoire, nous professons notre foi, nous prions. Pour nos défunts, avec eux, grâce à eux. Pour l’humanité qui a autant soif de vérité que de miséricorde.
Que notre prière soit fervente et qu’elle rejoigne celle d’un grand saint de la Tradition arménienne, S. Grégoire de Narek (951-1003) qui s’adresse ainsi au Christ, le Verbe fait chair :
Tu n’es pas un juge qui condamne, mais un Sauveur.
Tu ne perds pas, mais tu trouves.
Tu ne tues pas, mais tu donnes la vie.
Tu n’exiles pas, mais tu ramènes.
Tu ne trahis pas, mais tu délivres.
Tu ne noies pas, mais tu sauves.
Tu ne pousses pas, mais tu relèves.
Tu ne maudis pas, mais tu bénis.
Tu ne venges pas, mais tu pardonnes. Amen.
+ Jean Kockerols, évêque titulaire d’Ypres, auxiliaire de Malines-Bruxelles